Cette pancarte vous surprend !
Moi aussi, j'ai été la première surprise lorsque notre maire, monsieur Jacques Thiroin m'a communiqué officiellement son désir d'immortaliser le chemin qui relie le hameau de la Judée à la maison de La Louise : Chemin de La Louise.
Devinez mon enthousiasme ! Et voilà, ce fut chose faite le 29 octobre 2012.
La Louise ... Paysanne en côte Roannaise
« Même dans le ciel le plus noir,
il y a toujours une étoile qui brille… »
Une main burinée et rugueuse se posa sur l’épaule du petit Joseph qui, accroupi devant les cabanes à lapins, distribuait l’herbe fraîche à chaque nichée. Quelque peu surpris, l’enfant leva son regard vers cet homme qui le toisait d’un air franc.
— Viens mon fils, lui dit-il, ne restons pas là !
Joseph referma le clapier, et sans mot dire obéit à son père, sa menotte se glissant dans la sienne. Ils firent quelques pas, s’éloignant ainsi de la cour de la ferme et descendirent jusqu’aux écuries.
Joseph se rendait bien compte qu’il se passait quelque chose d’étrange en ce frais mais beau matin de printemps.
Deux femmes qu’il ne connaissait pas ou peu, s’activaient dans la cuisine, faisant chauffer de l’eau dans la grande cheminée jouxtant le mur de la chambre où sa mère était couchée.
On l’avait gentiment mis à l’écart depuis son réveil prétextant mille menus services, dont il s’acquittait avec plaisir. Mais personne ne lui avait fourni de détails quant à l’agitation inhabituelle qui régnait dans la maison, si bien que Joseph n’avait posé aucune question et que tout naturellement, du haut de ses quatre ans, il s’affairait comme à l’accoutumée aux tâches qu’un enfant de son âge était en mesure de remplir.
Son père, l’air anxieux s’arrêta à la porte de l’étable, s’assit sur le tabouret à trois pieds servant à la traite des vaches, et, dans un long soupir, enfouit sa tête dans ses mains. Le petit s’approcha doucement et dit :
— Papa ! Papa !
— ! Oui, oui, mon garçon ! Tu dois savoir, aujourd’hui, tu auras un petit frère ou une petite sœur.
L’enfant rétorqua :
— Mais, comment ?
— Ne pose pas de questions ! Bah ! Ce sont des affaires de femme.
Puis, après un court silence, il ajouta :
— Il faudra en prendre grand soin, tu sais, c’est toi l’aîné…
— Oui, oui papa, j’en prendrai bien soin…
Que comprenait-il ce bout d’homme ? À cette époque, il était très inconvenant de parler de… ces choses-là…
Bah ! Comme avait si bien dit son père…C’étaient des histoires de femmes ! Sous-entendu, pas la peine d’en faire tout un plat !
Tout à coup, un cri déchira le silence :
— Claude… Claude… Écoutez donc, mais écoutez donc…
La brave voisine s’égosillait en gesticulant en direction de l’écurie…
— Y a déjà une fille mais on croit bien qu’ c’est pas tout venu…, puis elle retourna hâtivement auprès de la jeune accouchée, et n’en revint qu’une heure plus tard en lançant d’un ton déterminé :
— Cette fois, c’est tout là ! des jumeaux… des jumeaux, Claude… une fille et un gars… amenez-vous donc vite les voir… Ils sont beaux petits…
Le brave paysan se leva d’un bond et courut jusqu’à la porte de la cuisine puis, restant interdit, regarda fixement les deux femmes qui s’activaient en pérorant.
— Une… une fille et un gars ? questionna-t-il comme pour s’assurer d’avoir bien compris.
— Allons, allons Claude, dit l’une d’elles, entrez donc voir la Virginie. Elle va bien et se repose maintenant, c’est que… c’est pas rien à mettre au monde… des jumeaux !
— Oh ! rétorqua l’autre, y a des femmes de la ville, des grandes madames qui vont à l’hôpital, mais nous autres pauvrettes…
— Ouais, ouais… pour attraper du mal… Paraît qu’on y attrape… la fièvre puerpérale que ça s’appelle… ou que’qu’ chose comme ça… qu’on peut en mourir… Bah ! Ça s’est ben toujours fait à la maison, que bougre ! C’est une chose naturelle.
Claude ne pouvait s’empêcher de penser que quatre ans auparavant, sa femme avait donné naissance à deux jumeaux. Son Joseph qu’il chérissait et un autre garçon, François, mais trop chétif il n’avait survécu, alors cette fois…
Respectueusement, il quitta sa casquette, la triturant dans ses mains tremblantes. Ses sabots résonnaient sur le carrelage en tomettes rouges puis il se dirigea vers la chambre, un peu gauche, ne sachant que dire.
Sa femme était là, et auprès d’elle, son fils et sa fille.
Se penchant, il les embrassa puis s’en retourna à la cuisine un peu penaud.
— Alors Claude, voilà une bien belle famille, pas vrai ?
Il s’assit sur un coin de chaise puis rétorqua avec un brin de tristesse.
— Mon Dieu ! Comment est-ce que je vais faire pour les nourrir ?… Une chose est sûre, j’en aurai jamais d’autres… jamais.
— Ben, allons, allons faut pas parler comme ça, renchérit une des femmes… la Benoite et son Jean, ils en sont au septième… tous bien drus…
— Chacun fait comme il veut, moi, j’en aurai jamais d’autres. Je veux pas mettre au monde des gamins pour en faire des crève-la-faim.
Là-dessus, il se leva, remonta son pantalon en velours noir, réajusta un cran de la ceinture de cuir qui ceignait sa taille et sortit.
Joseph, quant à lui, très fier d’être le grand frère, dévorait du regard les deux bébés endormis.
— Dis, maman, comment ils s’appellent ?
— Jean-Louis et Marie-Louise, murmura-t-elle en lui souriant.
Nous étions le 8 avril 1908, et dans ce hameau de la Judée, commune de Renaison sise en côte roannaise, venait de voir le jour, celle qui deviendrait une véritable figure emblématique.
Figure emblématique dites-vous ?
Sera-t-elle donc une grande résistante ou une politicienne avant-gardiste, une élue locale respectée ou une grande dame de la bourgeoisie ?
Non, non ! Rien de tout cela, ou plus exactement… si, mais…
Grande dame elle sera, mais dans la simplicité d’une vie de paysanne de l’entre-deux-guerres ; élue, oui, mais dans le cœur des gens de son hameau et des villages avoisinants qui auront la chance de la côtoyer ; résistante, oui, mais dans sa façon d’être et d’exister envers et contre les préjugés un peu trop coercitifs de cette époque rude où le qu’en-dira-t-on et l’honneur collaient à la peau comme un second patronyme.
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Qui pourra jamais évaluer la somme de travail considérable accompli par ces femmes de la terre ?
Qui pourra jamais leur rendre l’immense hommage qu’elles méritent ?
Qui pourra jamais admirer leur courage ainsi que la multiplicité de leur compétence ?
Oh ! Femmes paysannes d’une autre époque, d’un autre temps bel et bien révolu, ma plume ne saurait transcrire votre magnanimité si du fond de mon âme je ne vous dédiais cet amour pour mes racines. Oui, femmes paysannes, vous étiez de grandes Dames ! Que les lauriers tant mérités mais jamais accordés couronnent aujourd’hui votre mémoire ! Qu’ils témoignent de mon infinie reconnaissance, respectueuse de votre ignorance étoilée.
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La communion d’Annie. Auprès d’elle, la Louise…
Les lignes qui suivent vont très certainement plonger le jeune lecteur dans un profond étonnement tout à fait légitime car impensable de nos jours !
La lessive ! Oui, le linge se lavait deux à trois fois l’an seulement ! Quelle corvée !
Les laveuses allaient de ferme en ferme louer leurs services à la journée.
La veille, Louise comme toutes les paysannes, mettait tremper dans des grands baquets en bois qui se nommaient les cuviers, les gros draps de toile ou de métis, les torchons et “décrassoirs”.
Au début du siècle pendant les veillées, les femmes tissaient le chanvre cultivé sur leur exploitation, et fabriquaient ainsi des draps très épais, très lourds et rêches. Imaginons leur poids une fois mouillés !
La laveuse arrivait tôt le matin, mangeait la soupe et un cabrion, buvait une tasse de café fumant et se mettait au travail. Une dure journée l’attendait.
Au milieu de la cour, elle s’agenouillait sur des sacs en toile de jute et commençait à frotter les draps avec la brosse à chiendent sur la planche à laver. De toutes ses forces, elle soulevait du cuvier, savonnait avec un pain de savon de Marseille, et brossait, brossait en les retournant encore et encore dix voire douze paires de draps.
Pendant la guerre, le savon étant une denrée rare, les gens le fabriquaient avec un mélange de cristaux de soude additionnés de graisse animale (suif, graisse de bœuf ou même de mouton). Faute de ces produits, la saponaire donnait l’impression mousseuse du savon… mais pas son efficacité !
Comme je l’ai dit, la lessive se faisait semestriellement, au printemps et à l’automne, aux beaux jours mais jamais en été en raison des économies d’eau. Autant dire que les literies ne se changeaient pas très souvent et que le linge particulièrement sale ne facilitait pas sa besogne.
Dans chaque village, se trouvaient deux ou trois laveuses, bien souvent des pauvres femmes soit veuves, soit seules que la misère contraignait à ces travaux inhumainement pénibles. Elles gagnaient leur pain et celui de leurs enfants honnêtement, mais au prix de combien d’efforts !
Inlassablement, elle frottait la crasse de leurs clients dont certains se montraient généreux, mais… pas tous !
De temps à autre, la misérable étirait son dos douloureux puis, en esquissant une grimace, se remettait au travail. Et elle brossait, et elle frottait, et elle tordait ces énormes draps, effectuant toujours les mêmes gestes répétitifs, ceux qui vous brisaient les reins et les poignets.
Dans un coin du fournil, la “chaudière à patates du cochon” nettoyée grosso modo, faisait office de lessiveuse.
Le feu allumé avec les “balais” (genêts) et entretenu grâce aux sarments portait l’eau dans laquelle était diluée de la cendre de bois, à ébullition. La laveuse mettait alors les draps à bouillir et les brassait du bout d’un bâton. L’eau montait dans le conduit central et retombait par les trous du “champignon”.
Pendant ce temps, elle frottait la couleur. Les chemises que les paysans changeaient habituellement le dimanche. Mais quelquefois, considérant qu’elles n’étaient pas sales, et que cela pouvait bien “faire encore”, ils les gardaient deux ou trois semaines… ou plus ! Inutile de préciser dans ce cas le travail que devait effectuer la pauvre laveuse.
Elle ne se relevait que pour retourner à la chaudière où la chaleur la suffoquait. D’un geste rapide, quasi instinctif, elle essuyait d’un revers de manche son front moite, buvait un verre de vin sucré puis s’agenouillait de nouveau, saisissait la brosse dans ses mains déformées et rougies, et lavait, lavait.
Louise respectait toujours le travail de tout un chacun, mais particulièrement celui-ci, et aidait de son mieux. Empoignant les draps chacune d’un côté, elles les tordaient plus facilement, laissant dégouliner l’eau savonneuse, “le lessi”.
À la Judée, le rinçage se faisait dans la serve jouxtant la cour, ce qui évitait bien de traîner la brouette. Mais souvent, la laveuse “trinqueballait” à grand peine ces lourds baquets remplis de linge mouillé jusqu’à la rivière, au lavoir ou encore dans un étang. On pouvait la voir alors pousser de toutes ses forces son chargement dans les côtes ou le retenir en descente. C’était très, très pénible.
Quelquefois dans les bonnes maisons, un des hommes attelait le cheval et emmenait le tout dans le tombereau, mais ce n’était pas systématique, loin de là.
La laveuse appréciait le joli et fonctionnel lavoir que Joseph avait fabriqué. Ainsi à l’abri, elle s’agenouillait et à l’aide du battoir, “l’ rouyeu”, elle “battait le linge”. D’un geste large elle envoyait les draps qui retombaient sur la surface de l’eau puis les tortillait en les ramenant à elle, les roulait sur la planche et les tapait avec son battoir. Une fois, puis deux ou trois jusqu’à ce que l’eau sorte claire.
— Amenez-vous donc, criait Louise, venez boire quelque chose et manger un petit bout !
— Ah ! Ben ma foi, c’est pas de refus, répondait la brave femme.
Alors elle s’asseyait sur les marches d’escalier de la cuisine, frictionnait son dos et tendait son verre. Louise comprenait et gentiment lui servait un canon, voire plusieurs. Et alors ! Quelle importance ! La pauvre trouvait au fond de son verre un peu de force, un brin de réconfort.
À peine reposée, elle retournait au labeur et continuait à frotter des heures entières, crachant sur les taches rebelles, car disait-elle :
— Y a rien de mieux que la salive pour enlever les taches !
L’étendage ne suffisant pas pour ces grosses lessives, il était coutume de mettre sécher le linge sur l’herbe.
Sa journée achevée, la laveuse mangeait la soupe chez la Louise et s’en retournait avec quelques sous en poche, et dans son panier des œufs, du beurre, des fromages et des légumes, parfois une volaille ou un bout de cochon.
— Ah ! Vous êtes brave Louise, merci beaucoup, disait-elle sincèrement en franchissant le seuil de la porte. Vous me ferez savoir pour la prochaine fois hein ! Vous savez, j’ suis la meilleure laveuse du coin, rajoutait-elle fièrement.
— Et pourquoi donc que je changerais, répondait Louise, ça fait des années que vous venez, alors !
La finalité de cette relation, comme c’était souvent le cas avec la Louise, déboucha sur une amitié qui perdura de nombreuses années.
À Saint-Haon, mais également dans d’autres villages et à Roanne, les premières machines à laver apparurent. Rares furent les privilégiées pouvant acquérir ces petites merveilles ! Aussi, et ce vraisemblablement par rentabilité plus que par serviabilité, l’heureuse propriétaire louait sa machine. Transportée sur une petite remorque à bras, elle se passait de maison en maison. Souvent, la lessive se faisait sur le trottoir attirant immanquablement les regards épatés des passants. Les gamins aimaient tourner la manivelle de l’essoreuse… deux rouleaux entre lesquels le linge était pressé.
— Quelle invention encore que ça ! critiquaient les sceptiques.
— Oh ! Toujours pareil va ! Moins on en fait, moins on veut en faire, répliquaient certaines mégères. Pensez, ça doit drôlement esquinter le linge… Forcément !
Je me remémore tout à fait la dernière laveuse que j’ai connue à Saint-Haon-le-Châtel, véhiculant ses gros baquets sur sa brouette qui grinçait en direction du lavoir… Elle n’était pas jeune, et s’arrêtait pour reprendre son souffle, son tablier humide replié sur un côté… Je me souviens de ses mains affreusement boursouflées… Elle était gentille et souriait toujours… Oui, je m’en souviens très bien… C’était dans les années 1960… Eh oui !
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